Sous l’égide d’un nouveau propriétaire-gérant depuis 2015, Chargeurs est passé discrètement du statut de holding cherchant à rembourser ses banquiers à celui de groupe industriel investissant dans la croissance rentable. Cette “redynamisation” est une réussite, déployée principalement sur les secteurs d’activité préexistants, s’accompagnant en fin de période du développement de nouveaux axes de croissance au travers d’acquisitions stratégiques et d’une réallocation des actifs industriels existants.
Bien que nous ayons initialement perçu Chargeurs comme un conglomérat industriel, étant donnée l’importance de la part de ses activités quotidiennes déléguées à ses différentes unités opérationnelles, la stratégie poursuivie par le nouveau propriétaire et le développement de nouvelles activités à faible intensité capitalistique par la scission des segments de croissance existants en divisions à part entière (Healthcare Solutions et Museum Solutions) nous conduisent à revoir nos positions. Nous considérons donc Chargeurs comme un groupe industriel du secteur de la logistique dont les filiales proposent un grand nombre de services B2B, avec une faible intensité en capital.
La gestion active consiste à rechercher de la croissance sur des marchés de niche ayant une portée mondiale. Sans surprise, la “niche au sein de marchés mondiaux” est la caractéristique commune des quatre secteurs d’activité historiques.
Cette étendue géographique de Chargeurs constitue clairement un atout dans la mesure où la croissance peut se construire à partir d’un réseau léger d’unités commerciales, d’usines et de bureaux.
Après une première phase de relance/redéfinition de la stratégie, la direction de Chargeurs a été rajeunie et a renforcé ses compétences en termes d’acquisitions. Après avoir accumulé les moyens financiers en 2017, Chargeurs a lancé ses premières grandes opérations en 2018, à la fois par des acquisitions et en augmentant les capex et opex avec l’objectif d’un pay back immédiat.
A la mi-2019, Chargeurs est présent dans quatre secteurs d’activité distincts. Les ambitions du groupe en termes de croissance (doublement du chiffre d’affaires d’ici 2021) laissent toutefois entrevoir la perspective d’une acquisition de taille plus conséquente. Début 2020, l’acquisition de D&P Incorporated, le leader du marché américain des services aux musées, a confirmé cette tendance. Cette entrée stratégique dans le périmètre du groupe sera le fer de lance de la refonte de l’activité historique des substrats techniques en une nouvelle division baptisée “Museum Solutions”.
Il convient également de souligner que la nouvelle équipe de direction a largement réussi à capturer les tendances sociétales au profit de la société : l’accent est au digital, à la “premiumisation” et au haut de gamme, à l’adoption des exigences ESG et à se jouer de la complexité des “supply chains” de plus en plus élaborées. Si la démarche n’est pas originale, Chargeurs se démarque par son agilité à tirer parti de cette évolution.
Healthcare Solutions, un coup de maître dans l’adversité
Cet atout s’est avéré précieux en début de pandémie, Chargeurs, comme de nombreux conglomérats industriels, devant alors faire face à des perspectives plus sombres. Pour répondre à la vigueur de la demande en équipements de protection individuelle, Chargeurs a pu mobiliser rapidement son expertise, ses capacités de production et le réseau de fournisseurs de sa division PCC Fashion Technologies pour créer une nouvelle division proposant une gamme de produits EPI (masques, blouses, gants de protection, etc.).
La réorientation des équipes commerciales, le déplacement des capacités de production et la coordination des moyens logistiques nécessaires au développement de la division “Healthcare Solutions” ont témoigné des progrès réalisés par la direction ces dernières années en matière de réorganisation de Chargeurs.
La création de facto de sa cinquième division a permis à Chargeurs de compenser entièrement l’impact de la crise sanitaire sur ses activités traditionnelles, portant ainsi son chiffre d’affaires au niveau record de 822m€ en 2020, tout en offrant par ailleurs de toutes nouvelles perspectives en matière d’expansion. Cette fois-ci, la croissance est davantage de nature organique et ne repose plus sur les acquisitions. Ce changement présente l’avantage de réduire les besoins en capital et d’exclure l’hypothèse d’un nouveau financement ou d’une éventuelle augmentation de capital comme dans nos précédentes estimations.
Au-delà d’une contribution au chiffre d’affaires supérieure à nos anticipations initiales à 304m€, la rentabilité exceptionnelle d’une division qui n’existait pourtant pas encore début 2020 apparaît comme la cerise sur le gâteau, sa marge opérationnelle récurrente atteignant 20,9%.
Si les très bonnes performances de 2020 ne devraient pas être reproduites en 2021, la pandémie étant maîtrisée grâce aux campagnes de vaccination en cours, la prévision de Chargeurs d’un chiffre d’affaires de CHS compris entre 50m€ et 100m€ en 2021 confirme que le groupe a su se doter d’un atout stratégique qui soutiendra ses ambitions en matière de croissance, comme le soulignent par ailleurs les objectifs du nouveau plan stratégique à l’horizon 2025.
Chargeurs Films de Protection reste la machine à cash de Chargeurs
Chargeurs Films de Protection est leader mondial en matière de films plastiques et de solutions techniques pour la protection de surface, avec 40 ans d’expérience et une part de marché estimée à plus de 25%.
Les principaux utilisateurs finaux (des secteurs de la construction, de l’électroménager, de l’électronique, des transports et de l’automobile) reflètent les progrès de la mondialisation de l’économie (les composants proviennent du monde entier et doivent être transportés et protégés) accélérés par la recherche constante d’amélioration de la qualité, qui passe par la protection de l’ensemble des éléments constituant les produits finis. L’utilisation de films jetables de plus en plus fins et des encollages associés implique aussi des effets mix positifs sur le long terme. Les films minces sont également très utilisés dans certains procédés de fabrication, tels que l’estampage où ils renforcent les propriétés mécaniques. Leur manipulation à grande vitesse de déroulement repose sur une technologie plutôt complexe pour éviter qu’ils ne cassent et ne génèrent de trop importantes nuisances sonores.
Les films minces font partie de ces activités vitales (et malgré tout discrètes) pour lesquelles le client a besoin d’une prestation de qualité pour un composant à peine perceptible dans le coût final du produit. Le service a en effet autant de valeur que le film lui-même. Chargeurs a renforcé ce lien en acquérant en 2017 des concepteurs et fabricants de machines à filmer, permettant de fidéliser sa clientèle et d’améliorer sa proposition de valeur. En outre, la nouvelle ligne de production italienne opérationnelle depuis fin 2019 a renforcé l’orientation premium de la production.
En 2020, alors que l’environnement commercial a été la plupart du temps très difficile au sein des principaux marchés de CPF, la division a pu récupérer la majeure partie du terrain perdu, clôturant l’exercice avec un chiffre d’affaires de 270,4m€, en recul de seulement -1,8% en données lfl par rapport à 2019.
Les performances en termes de rentabilité ont également plutôt bien résisté, les produits de CPF étant essentiels aux chaînes d’approvisionnement industrielles partout dans le monde, tandis que le positionnement sur le marché haut de gamme de la division contribue à freiner l’érosion de ses marges. La baisse a été modeste, la marge opérationnelle passant de 8,5% en 2019 à 6,3% (17,0m€) en 2020. La bonne tenue du ROPA devrait annoncer une amélioration significative en 2021, les volumes devant alors retrouver leurs niveaux d’avant la pandémie.
Chargeurs Films de Protection reste le métier de Chargeurs la plus tributaire de sa performance industrielle. L’ouverture de nouvelles capacités au S2 2019 devrait entraîner une forte augmentation de l’offre de produits à forte valeur ajoutée de la division.
Fashion Technologies retrouve ses lettres de noblesse
En 2015, Chargeurs a scindé son « ancienne » division Entoilage entre une « nouvelle » aujourd’hui rebaptisée Fashion Technologies et une division spécialisée appelée Technical Substrates (voir ci-après).
Si rebaptiser une vieille activité s’avère généralement rapidement vain, il en a été autrement dans ce cas de figure. L’objectif était clairement de transformer l’activité traditionnelle d’entoilage pour les vêtements en développant les services autour de la Fast Fashion. L’acquisition de PCC en 2018 a marqué une véritable inflexion avec la nomination de son patron animé d’un fort esprit d’entreprise à la tête de l’entité Fashion Technologies remaniée. Dans le secteur de la mode, PCC ne propose plus un produit mais des services. L’importance de cette transformation a été soulignée par un changement de dénomination, la division se nommant désormais PCC Fashion Technologies.
PCC a commencé comme une entreprise de dépôt de surfaces, puis s’est développée dans l’activité Interlining/entoilage par encollage à chaud dans l’habillement. Son étendue géographique est très complémentaire de celle de Chargeurs, 90% de son chiffre d’affaires provenant des États-Unis et de l’Asie. Au sein de ces deux dernières régions, PCC ouvre à Chargeurs l’accès aux marques de mode et complète donc l’activité Interlining originale de Fashion Technologies par l’ajout de nouveaux territoires, surtout en augmentant le contenu en services de son offre. L’objectif est d’être sélectionné comme contact “prime” par une marque donnée pour la fourniture en temps voulu des divers intrants (provenant généralement de fournisseurs hétéroclites) nécessaires à la production de vêtements. Les concepteurs de marques souvent confrontés à des problèmes de cohérence de la qualité dépendent généralement de plusieurs sous-traitants.
En raison de son exposition au secteur de la mode, durement frappé par la pandémie et les mesures de confinement qui ont considérablement réduit les activités des détaillants de mode, la division n’a pas pu échapper à un ralentissement de son chiffre d’affaires et de ses résultats en 2020. Le chiffre d’affaires de CFT-PCC a baissé de 35,3% en données lfl à 131,8m€, et le ROPA s’est effondré de 17,5m€ (marge de 8,3%) à 5,1m€ (marge de 3,9%).
A l’inverse de CPF, les perspectives 2021 pour Fashion Technologies restent difficiles, la direction reconnaissant qu’un retour des volumes à leurs niveaux d’avant la pandémie n’est pas attendu à court terme. Dans un contexte marqué par un recul structurel de ces derniers, l’accent devrait être mis en 2021 sur la sauvegarde de la rentabilité. Nous tablons donc sur une amélioration à 6,5% de marge opérationnelle en 2021.
Museum Solutions : une nouvelle histoire de croissance au sein d’une niche à fort potentiel
Complétant les bases de l’activité historique de Chargeurs dans le domaine des substrats techniques au sein de la filiale Senfa Technologies, cinq acquisitions stratégiques réalisées entre 2018 et 2020 ont conduit à la création d’une toute nouvelle division centrée sur la niche des services aux musées.
Initialement, les activités regroupées dans ce qui deviendra CMS étaient essentiellement de nature industrielle. Dès 2014, il est apparu que les marchés finaux hors secteur de l’habillement (essentiellement textiles non-tissés robustes et sophistiqués) s’étaient … étoffés. Cela avait été le cas pour le secteur de la publicité, où les textiles techniques (bien que différent des doublures) avaient trouvé de nouvelles applications. Le principe en était d’enduire les textiles techniques avec des substrats appropriés pour leur donner les caractéristiques voulues (par exemple capturer seulement un certain type de lumière). En 2015, Chargeurs avait isolé cette activité au sein d’une nouvelle division baptisée Technical Substrates.
Le basculement vers un profil davantage centré sur les services s’est matérialisé en 2018 avec l’acquisition d’un petit groupe britannique nommé Leach, doté d’une expertise technique autour d’un système de rétroéclairage donnant naissance à un vaste marché de l’image à haute qualité auprès des magasins de mode et des musées. Cette opération a ensuite été complétée par les acquisitions en 2019 de MET Studio, spécialiste des services aux musées et aux expositions et de l’expérience visiteurs, et de Design MP, un acteur clé de la gestion de projets de patrimoine muséal. La transformation a franchi une étape majeure avec le changement de dénomination de la division au S2 2019, devenant Museum Solutions.
Début 2020, le groupe a clairement affiché son ambition de devenir le leader mondial des services aux musées avec l’acquisition du leader du marché américain D&P Incorporated. Hypsos, une autre société acquise début 2020, a complété le modèle de « guichet unique » adopté par Chargeurs.
Les résultats 2020 de la division sont marqués par un contraste entre la gravité des conséquences de la crise sanitaire sur les activités de l’ancienne division et les bonnes performances de la niche des services et solutions pour les musées créée depuis peu. En ce qui concerne les premiers, le contexte difficile pour la vente au détail lié aux mesures de confinement et de distanciation sociale a entraîné une baisse de la demande de publicité et d’affiches dans les magasins de détail, tandis que l’absence totale de salons d’exposition a représenté un double coup dur pour les principaux marchés finaux de la division Technical Substrates.
Dans le même temps, les activités de Chargeurs tournées vers les musées ont encore remporté d’importants contrats qui devraient conférer une bonne visibilité à l’équipe voisine. Globalement, cette tendance s’est traduite par un chiffre d’affaires en baisse de 47,5% en organique, mais en hausse de 38,3% en publié, à 51,6m€. Le ROPA a atteint 1,9m€ (marge de 3,7%).
Luxury Materials (anciennement Chargeurs Wool)
Chargeurs est depuis longtemps un acteur mondial de premier plan dans les secteurs du « top-making » et de la vente de laine peignée haut de gamme. Connaissant parfaitement le secteur de la laine, le groupe s’est désengagé de sa partie risquée (transformation industrielle, commercialisation) dès 2012. Tournant essentiellement autour des services, son chiffre d’affaires est élevé mais stable, ne présente aucun risque, avec une rentabilité pratiquement nulle.
L’expertise du groupe a été valorisée avec le lancement du programme de garantie de la qualité sur l’ensemble de la chaîne de valorisation de la laine. Cet objectif de contrôle de qualité de bout en bout à partir de la blockchain pour les laines de qualité supérieure permet de capitaliser sur une demande de fibres naturelles toujours plus qualitatives et de matériaux toujours plus raffinés. Ce programme ambitieux est résumé sous le label Nativa. En 2018, et sans doute pour faire valoir ce changement de priorité, la division Laine a été rebaptisée Luxury Materials et a lancé une marque de laine de luxe (Amédée 1851) vendant des foulards très haut de gamme. Un moyen très distingué et efficace d’illustrer l’efficacité du recours à la blockchain dans le secteur de la laine.
Ces ambitions sont résumées sous le label Nativa. En 2018, vraisemblablement pour mettre en évidence ce changement d’orientation, l’activité laine a été rebaptisée Luxury Materials et a lancé une marque de laine de luxe : Amédée 1851, qui vend des écharpes. Une façon très classe et utile de montrer que la blockchain fonctionne dans l’industrie de la laine.
Comme CFT-PCC, la division Luxury Materials a été durement frappée par l’impact de la pandémie et des mesures de confinement sur le secteur de la mode. La faiblesse de la demande mondiale de laine a significativement pesé sur l’activité en 2020, conduisant à une contraction du chiffre d’affaires de 34,6% en glissement annuel, à 64,6m€, et à un basculement du résultat opérationnel récurrent en territoire négatif (à -2,3m€). Globalement, cette contribution négative demeure toutefois marginale.
Les tensions observées depuis le début de la pandémie devraient s’atténuer d’ici fin 2021, notamment dans les pays occidentaux qui lèvent désormais les restrictions à mesure que les campagnes de vaccination progressent. Néanmoins, 2021 devrait rester une année de transition et il faudra attendre 2022 pour observer une véritable reprise.
Capital humain
En moins de quatre ans, Chargeurs est parvenu à conférer une nouvelle dynamique à ses activités grâce à une gestion rigoureuse et à la conviction que l’ensemble des niches méritaient d’être déployées dans une logique de croissance.
En parvenant à la fois à remobiliser les effectifs, à générer une croissance rentable, à recruter de jeunes talents puis à les former et à engager de nouvelles acquisitions, la réussite de Chargeurs a surpris positivement ses observateurs.